ewen + sonja, 2ème jour de
service de sonja, cantine.

Je regarde ma vieille montrée attachée à mon fin poignet. L'heure du temps de midi. Un petit sourire s'affiche sur mon visage l'espace d'une seconde puis disparaît. L'idée de manger un petit en-cas me réjouit. Sortant de ma chère laverie où je viens de lancer la cinquième machine de la journée, je m'avance pieds nus comme toujours dans les couloirs pour me diriger vers la cantine. Je ne sais pas encore trop bien où c'est, ni s'il faut attendre une sorte de sonnerie comme dans les écoles histoire de prévenir tout le monde que leur ventre a faim. Je ne sais rien. Je suis arrivée hier, comme un cheveu sur la soupe. Amenée ici par des esprits auxquels je ne connais rien. Surtout par l'esprit de ma mère. Enfin du moins c'est ce que je crois. Je chasse cette idée de ma tête tandis que mes pieds nus parcourent les carrelages froids des couloirs. Je me sens tellement plus libre, plus libérée avec les pieds déchaussés. J'arrive à un coin de couloir et aperçois une grande porte à ma gauche, je déduis que cela doit être la porte qui mène au réfectoire. Bingo. Je pousse timidement la porte, habillée de mon uniforme dans lequel je fais les lessives et nettoie les sols, j'ai l'air d'une bonne ou d'une vieille Cendrillon, version glauque. C'est bizarre mais j'aime plutôt bien. Mon premier repas ici. Hier je suis arrivée juste après l'heure de midi je n'ai donc pas encore fouler le sol de la cantine, n'ayant pas encore dû la nettoyer. Je suis plutôt dans les lessives des patients et dans l'entretien de leur cellule, de ce que j'ai pu comprendre pour le moment. Mon visage est comme à son habitude caché par mes grands cheveux sombres secs et raides tandis que je m'avance, quelque peu bossue pour aller chercher mon plateau de nourriture. Une fois mon plateau servi, je me dirige vers une table vide. Il n'y a pas encore grand monde ici. Je m'assieds sur un banc longeant la table de cantine, mon pied gauche remontant sur le banc en monde semi-indien tandis que l'autre pendouille gracieusement, mon orteil touchant presque le sol froid. Je regarde autour de moi les patients et membres du personnel entrer, derrière mes rideaux noirs. Je commence à détailler ce qu'il y a dans mon assiette. J'aime manger mais je n'ai jamais très faim. Je commence alors à jouer dans la sauce servie avec la viande à l'aide de ma fourchette. Même au lycée, j'ai toujours mangé à une table, seule.

Mes pas se pressent en direction de la cantine, ou plutôt mon ventre les guide. Des papiers, des formulaires à remplir, des signatures, des diagnostics à penser, des traitements à modifier... Toute la matinée la tête plongée dans les dossiers, j'avais hâte de sortir un peu et de penser à autre chose. Exercice assez difficile en étant psychiatre ou tout simplement personnel ici à Giercliff, puisque les murs semblent vouloir nous rappeler à chaque détour où l'on se trouve. Un rituel, une routine, auxquels on s'habitue finalement, il le faut bien. Peu de monde dans les couloirs, je presse le pas, n'aimant pas vraiment être en retard. C'est après quelques temps que je finis par pousser la lourde porte de la cantine, arrivant dans la grande salle où de nombreux couverts heurtent déjà les assiettes. J'essaie de ne pas me faire remarquer en me fondant rapidement dans la masse, prenant un plateau et me servant à manger. Pivotant sur moi-même, j'essaie de repérer rapidement une place assise. C'est alors que je me rappelle, lorsque mon regard tombant sur une jeune femme brune assise seule à une table, les paroles du sous-directeur nous informant qu'une jeune nouvelle était arrivée dans le personnel il y a un ou deux jours. Je n'avais pas encore eu l'occasion de lui souhaiter la bienvenue et de faire connaissance avec elle. D'un pas léger, je m'approchai de sa table, plateau en main, déposant le bord sur une petite surface de la table. « Mh.. Sonja, c'est ça ? Est ce que.. je peux m'asseoir ici ? » Les places ne manquent pas dans le réfectoire, mais c'est aussi pour faire connaissance avec elle et essayer de la faire se sentir à l'aise au sein du personnel - chose qui à première vue, n'est pas forcément facile, ici. J'ai apprécié qu'on me fasse sentir à l'aise et à ma place ici, lorsque je suis arrivé un an auparavant, et je compte bien faire de même pour les petits nouveaux qui arriveront ici. Comme Sonja.

« Mh, oui c'est bien ça. » Elle est toute recroquevillée et ça me penser un peu à mon arrivée ici. Peu de temps après avoir été diplômée, je me sentais bien d'avoir décroché un job, tout confiant et fier. Jusqu'à ce que je passe la porte d'entrée de Giercliff. Je me suis senti tout petit. Je me suis demandé si j'allais y arriver. Avoir le sort de patients fragiles et instables entre les mains, avoir leur avenir entre nos mains. Elle sourit légèrement et je lui souris en retour, en m'asseyant donc en face d'elle, suite à son autorisation. Sa fourchette tourne dans son assiette comme pour gagner du temps avant de piocher dans le plat. Au départ, j'ai rarement touché à mon assiette ici, mais au final, je m'y suis fait. Il n'y a que ça, de toute façon. « Vous êtes ? » C'est vrai qu'elle ne me connaît pas et doit sûrement se demander ce qu'un inconnu vient faire, à s'asseoir en face d'elle alors que des dizaines de places sont libres. « Non parce que, si vous me voulez du mal, autant partir. » Apparemment, je lui fais peur. Quoique, elle a raison de se méfier, ici, on peut tomber sur des gens instables malgré eux. J'esquisse un léger sourire se voulant rassurant. « Oui, pardonnez moi mon impolitesse, je suis le psychiatre Ewen Wheeler. Et je ne vous veux aucun mal, je suis ici parce que, je sais que vous venez d'arriver.. » Je commence mon assiette en piquant un bout avec ma fourchette, puis reprend après avoir fini la bouchée. « Je suis passé par là, il y a un an de ça. Etre le nouveau. Et le personnel m'a tout de suite mis à l'aise, j'étais assez intimidé au départ. Et du coup, je me suis dit que je pourrais faire ça, pour vous, à mon tour. » Je continue de manger doucement, mais ne peux m'empêcher d'ajouter.  « Mais, peut être que vous ne souhaitez pas du tout ça, si c'est le cas, je ne vous embêterai pas plus longtemps. » Je garde un léger sourire, montrant qu'il n'y aurait aucun problème à ce qu'elle rejette ce que je lui propose.