L’odeur de l’encens emplit la pièce, et c’est comme si la fumée lui couvrait les yeux. Opaque. Elle ne voit plus le visage qui s’adresse à elle, qui parle d’une toute petite voix. Elle devrait arrêter ce genre de bêtises. Une âme en détresse s’ouvre à elle, et elle se laisse aller à de stupides rêveries. Elle sourit à la patiente/prisonnière, et agite son stylo sur son calepin. Elle gribouille un cœur. C’est bizarre. Depuis qu’elle est revenue, elle ne fait presque plus d’efforts. Elle n’essaie même pas de remplir ses fonctions pour la forme. Elle a toujours sut qu’il n’y avait pas d’espoir pour résidents de Giercliff, mais ces derniers temps elle atteint des sommets de nonchalance. Au final, tout ce que l’on attend d’elle, c’est de leur prescrire des médicaments qui les assommeront et les rendront dociles. Et c’est ce qu’elle continuera de faire, elle connait les dosages. Enfin le temps passe, l’aiguille tressaute sur le cadran et Alice invite la psychotique à passer une bonne journée.
Elle se laisse retomber dans son fauteuil et chasse une mèche rousse de son visage. C’est exténuant. Toute cette peine à laquelle elle se sent tellement extérieure. Depuis le viol, c’est comme si sa capacité d’empathie lui avait été retirée. Avant elle parvenait à ressentir leur chagrin, à le mesurer, elle parvenait à les prendre en pitié. Aujourd’hui elle ne parvient plus à s’y intéresser. Elle ne sait même pas pourquoi elle est revenue. Sans doute qu’elle n’avait rien d’autre à faire. Elle a repris ses fonctions depuis presque deux jours maintenant. Elle a croisé quelques collègues qui lui ont adressé des regards gênés, et un infirmier qui ne travaillait pas ici du temps où elle y exerçait. Le personnel change régulièrement à Giercliff. Beaucoup veulent être embauchés à cause d’une curiosité morbide, et beaucoup démissionnent parce-que cette même curiosité a été amplement satisfaite. Elle ne connait que trop bien les risques de s’intéresser à des fous de cet acabit.
Elle finit par quitter son bureau et descend le couloir jusqu’au réfectoire, d’un style ancien, presque victorien. Les lieux ont été admirablement préservés. Après avoir pris une salade, une pomme et une bouteille d’eau, elle va s’asseoir à une table, seule. Elle pose son plateau et contemple son déjeuner frugal. Quelques employés l’épient, d’autres chuchotent brièvement, l’air peiné. Elle serre sa fourchette entre ses doigts blancs et s’imagine leur arracher la gorge avec. Tremper ses feuilles de salade dans leur sang. L’image lui tire un sourire amusé. Au fond, cet hôpital, c’est comme un zoo gardé par des animaux. Du coin de l’œil elle aperçoit un groupe d’employés rentrer dans le réfectoire, certains en pleine conversation, d’autres visiblement isolés. L’un d’eux n’a pas l’air d’appartenir au groupe et lui est inconnu à elle aussi. Il porte la blouse, sans doute un psychiatre. Il est beau, avec un côté très anglais, très distingué : ténébreux. Leurs regards se rencontrent et elle détourne le sien. Puis, elle passe une main dans sa chevelure flamboyante, arque élégamment sa silhouette trop maigre et amène une feuille de salade à ses lèvres, le visage froid. Elle n’avait encore jamais réalisé à quel point une journée pouvait être longue.

• Je n’avais pas imaginé que le travail pourrait être si dur à supporter. Je n’étais pas naïf au point de croire que la tâche serait aisée mais on ne peut pas s’imaginer ce qui nous attend. Je m’étais pourtant préparé, j’avais travaillé tous les syndromes les plus durs, lu les études et autres thèses mais une fois que l’on est face à la réalité : elle nous imprègne. A chaque fin de consultation les images défilaient sans s’arrêter, je me repassais la séance sans avoir aucun contrôle dessus. Les émotions, les opinions, les traits, les souvenirs, les paroles, les sarcasmes ou le silence de chacun de mes patients était lourd à porter. Pourtant voilà où était mon rôle : les soutenir eux et leurs maux. Ma dernière consultation avait été… pour le moins originale. Bien que chacune soient différente celle-ci avait été spéciale. La jeune femme n’avait pas cessé de parler, elle n’avait répondu à aucune de mes questions mais se parlait à elle-même. Je n’existais pas à ses yeux et lorsqu’elle me regardait j’avais eu l’impression qu’elle regardait à travers moi sans se douter que je pouvais être là. J’avais donc fait l’expérience du fantôme… J’avais eu beau tenté de capter son attention rien y faisait elle était dans son monde. C’était un échec cuisant et cela me torturait l’esprit. J’avais noté quelques mots de mes tentatives pour que je me rappelle ce qui avait été vint et trouvé d’autres alternatives pour qu’elle revienne avec moi, dans mon bureau.

• En sortant de mon bureau que je fermais mécaniquement à clé je songeais toujours à elle. Comment faire bon sang ? Et quel sentiment désagréable d’être inexistant, car ce n’est plus seulement être invisible ! Je marchais sans quitter mes pensées vers la cantine. Cela ne faisais pas très longtemps que j’étais arrivé et je connaissais bien peu mes collègues qui eux formaient un groupe bien soudé apparemment. Ce même groupe ce trouvait à une table déjà et je doutais d’y être inviter. Ils parlaient tous dans leur barbe et cela ne me donnait guère l’envi d’aller discutailler avec eux. Je jetais à nouveau un œil dans la pièce pendant qu’une employé me servait une ration d’une espèce de purée à l’eau, depuis quand la purée se fait-elle avec de l’eau et pas du lait ? Bienvenu dans ta nouvelle maison Bréwen. Tant pis. Je repérais une jeune rousse, seule, elle portait une blouse : elle était une collègue ! Tant mieux ! Elle croisait mon regard et le baissa bien vite, je fis de même mais pas par timidité mais parce que la femme, qui n’étais plus si fraîche qu’elle ne l’avait sans douter été, me rendais mon assiette. Je la posais et me dirigeais comme décidé précédemment vers la chevelure rousse. Elle était mignonne et j’aurais sans doute plaisir à parler avec elle, au moins elle semblait plus intéressante que certaines personnes du personnel. A sa hauteur j’engageais :

« Bonjour Mlle.. Hall. Puis-je m’asseoir ici ? »