« Maman ?? J'ai besoin de ta signature pour mon bulletin... Hého, t'es là ? Je suis pressée ! » . Tu montes dans l'espoir de trouver ta mère au moins endormie, ce qui justifierait le fait qu'elle ne t'aie pas répondu immédiatement. Tu te diriges vers la chambre de ta mère, pour frapper trois coups. Pas de réponses. Alors que tu t'apprêtes à entrer dans la chambre, tu vois la porte menant au grenier grande ouverte. Ta mère doit surement être en train de faire un peu de rangement, aussi étonnant que cela puisse paraître, étant donné qu'elle se laisse plus aller qu'autre chose, et que c'est sur tes épaules que tout repose depuis le départ de ton beau-père. D'ailleurs, tu n'as jamais compris pourquoi ta mère l'avait si brutalement chassé de chez vous. Mais bon, on t'a toujours apprit de ne pas te mêler des affaires des grands.

Une heure du matin. Tu te réveilles, paniquée. Encore un cauchemar. Depuis quelques semaines, tu ne fais plus que ça. Impossible de fermer l'œil sans que ton inconscient ne te bombarde d'images terribles, sanglantes et dérangeantes. A cause de ces cauchemars, tes pensées troublent tes journées: tu es à cran, nerveuse, agressive... A chaque contrariété, tu jures de tuer le monde entier. L'abandon d'un père, la trahison d'un beau-père, le suicide de ta mère, la détresse de ta petite sœur et la vie minable que tu mènes chez ton oncle ne t'aides pas à te calmer. Tu te lèves afin de prendre un verre d'eau dans la salle de bains. En passant dans le couloir, tu entends des gémissements accompagnés de pleurs. Tu places minutieusement tes pieds sur les lattes du plancher miteux du couloir, pour te diriger vers la chambre de ta petite sœur, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à ta mère, qui ressemble à un ange et que tu t'es juré de protéger coûte que coûte. Tu entre-ouvres la porte de la chambre de Lynn, et tu vois ton oncle faire ce qu'un adulte ne devrait pas faire à une enfant de dix ans. Tu étais âgée de dix-huit ans et tu avais déjà vu tant de choses affreuses (entre autre, la découverte du cadavre ensanglanté de ta propre génitrice) que tu ne pensais pas pouvoir être encore choquée par quoi que ce soit. Mais la vision de ton oncle, l'homme qui t'avait promis, en vous accueillant ici, qu'il t'offrirait tout ce que ton père et ton beau-père n'ont pas pu t'offrir: c'est à dire de l'amour et une figure paternelle stable. Tu te faisais battre, tous les jours, pour un rien, mais toi, ça ne te dérangeais pas. Tant qu'il épargnait ta petite sœur, encore trop jeune pour supporter des coups. De la déception, du dégoût, de l'horreur... Voilà ce que tu ressentais.

Cependant, tu refermes la porte et tu retournes discrètement dans ta chambre. Tu es son ainée, mais tu es incapable d'aller l'aider. Tu sais parfaitement que quoi que tu fasses, cela ne changera rien. Tu l'as bien vu, quand ta petite sœur vient supplier ton oncle d'arrêter de te frapper car tu as oublié de lui ramener ses cigarettes. Tu as peur que ton acte de rébellion te valle une correction tellement forte que tu ne pourras peut-être plus jamais aider Lynn car tu seras morte ou à l'hôpital. Personne ne se doutera que c'est ton oncle qui t'a refait le portrait, tout simplement parce que tu as déjà un casier judiciaire à cause des quelques vols que tu as commis et que, tout le monde le sait, tu es une enfant dépressive, à cran, qui a tendance à piquer une crise à la moindre provocation et qui se bat régulièrement. En gros, avec tes conneries, sans le vouloir, tu couvres ton oncle.

Tu n'as pas été aider ta petite sœur, tu l'as laissée se faire violer par ton oncle. Mais tu l'as vite regretté, très vite. Tu restais allongée, dans le noir, cachée sous ta couverture, tentant de faire la sourde oreille alors que tu entendais encore les plaintes et les pleurs de ta petite sœur, étouffés par la main de ton oncle. « Tu te rends compte que tu laisses ta sœur se faire violer par ce porc ?! Tu devrais avoir honte ! » . Tu te tournes brusquement, ayant l'impression que quelqu'un venait de chuchoter à ton oreille. C'était tout simplement la Culpabilité qui venait de prendre de l'ampleur et une voix. Tu entendais cette voix résonner dans ta tête, tu commençais a avoir chaud, à suer, à pleurer... Tu ne comprenais pas comment tes pensées pouvaient devenir aussi sonore. Tu culpabilisais, et les voix devenaient de plus en plus fortes, tu couvrais tes oreilles avec tes mains, sachant parfaitement que cela ne servait à rien étant donné que tout ce bruit était dans ta tête. « BUTTEES LE CET ENFOIRE !!!!! VAS-Y !!!! SINON TU VAS AUSSI PERDRE TA SŒUR !!!! » , fut la dernière pensée qui te vint. Tu te levais, déterminée, un regard noir, menaçant, un air mauvais sur le visage… Tu faisais peur, tu étais méconnaissable… Cette voix avait eut raison de toi, et sans comprendre comment, elle t’avait poussée à aller chercher un couteau dans la cuisine, très discrètement, pour retourner dans la chambre de Lynn, te dirigeant à pas de loup vers le lit… « AAAAAAAAAAAAAH ! », un cri, perçant, celui de ton oncle. Tu viens de lui planter l’immense couteau dans la cuisse, sans aucune hésitation, sans aucune émotion. Comme-ci tu étais contrôlée et que tu n’avais pas conscience de ce que tu faisais. Ta sœur a hurlé, est parvenue à se dégager et tu as tenté de l’emmener à l’extérieur, chercher de l’aide afin d’enfin te débarrasser de ce taré. Malheureusement, les gens de son espèce sont résistants et en moins de deux, il vous a rattrapé, vous empêchant de vous enfuir.

Un tour à l’hôpital pour le soigner, et te voilà dénoncée par ton oncle qui murmurait au docteur « C’est ma nièce, elle a des crises de violence… elle a voulu s’en prendre à sa sœur alors je me suis interposé ». Tu as fixé ton oncle avec un regard noir… Tu aurais eut des lames au bout des yeux, tu l’aurais transpercé mille fois jusqu’à ce qu’il se vide de tout son sang. Après cette visite à l’hôpital, tu as dû aller voir un psychologue pour chercher ce qui clochait chez toi. Tu as simplement dit qu’il l’avait mérité, ni plus, ni moins. Tu étais incapable de parler des viols de ta petite sœur, car tu estimais que c’était à elle de le faire, avec ton encouragement, car c’était bien trop gênant et délicat à évoquer. Tu ne voulais pas l’humilier en parlant de tout cela à sa place… Alors tu les laissais penser ce qu’ils voulaient, et tu laissais ton connard d’oncle payer des séances inutiles chez le psy, tant que tu pouvais le ruiner, tu étais heureuse. Un jour, tu as vu ta sœur rentrer en pleurs de l’école, même là-bas, elle se faisait martyriser par une brute. Après avoir tiré les vers du nez à Lynn afin d’en savoir plus sur cet imbécile, tu as attrapé ta veste, et tu es sortie, en furie. Après dix minutes de marche, tu t’es arrêtée en plein milieu de la route, te demandant pourquoi tu étais partie de chez ton oncle aussi énervée, et ce que tu faisais ici. Et c’est en reconnaissant le stade que tu te remémorais ce pour quoi tu étais venue : la brute qui osait lever la main sur ta petite Lynn, ta protégée, la prunelle de tes yeux. Tu le laissais se séparer de ses amis en riant bruyamment, comme un porc, avant de le suivre dans la ruelle qu’il empruntait.

Il venait de mettre ses écouteurs, marchant tranquillement les mains dans les poches de son jogging dans lequel il avait sans doute bien sué durant son entrainement de foot, et il n’avait pas terminé de suer. Tu allais le faire regretter sa violence envers Lynn. Tu changeais de direction, afin de trouver un raccourci pour lui couper la route. Tu le pousse contre le mur froid et humide de la ruelle. Alors qu’il t’insulte, tu commences à le passer à tabac avec une force et une violence insoupçonnée. Tu vengeais ta petite sœur qui ne se sentait en sécurité ni chez elle, ni à l’extérieur à cause de cet imbécile, tu te défoulais, des coups de poings, des gifles… Tu le jetais au sol, pour lui asséner des coups de pieds dévastateur dans le ventre, jubilant en imaginant l’état de ses côtes, espérant le faire mourir en lui provoquant une hémorragie interne fatale. Il te suppliait d’arrêter, d’une voix étouffée, le visage tuméfié et en sang… « Continues !! FAIS LUI PAYER !! MONTRE ENFIN QUI TU ES !! LAISSES TOI ALLER ! Regardes, regardes le souffrir ! Il te supplie comme une merde ! » . Il continuait de te supplier, mais tu ne l’entendais pas, cette voix dans ta tête était trop forte et dominait. En bruit de fond, tu entendais que ton cœur battre violemment contre ta poitrine, cette adrénaline jouissive qui te donnait l’impression de planer te donnait l’impression de ne plus être qu’une personne invincible… Tu avais l’impression d’être Dieu. Tu tenais sa vie entre tes mains, tu pouvais l’achever, en y mettant toute ta rage, tu pouvais facilement le tuer. Alors que tu te baissais pour l’attraper par son col ensanglanté, afin de regarder droit dans les yeux le type que tu venais d’exploser, tu le vis en train de suffoquer, et tu repris le comportement normal d’une pauvre adolescente de dix-sept ans que tu étais… Tu te mis à paniquer. Ton visage se radoucissait, et tu le lâchais brusquement, le laissant tomber violemment sur le sol. Trou noir. Était-ce toi qui avais fait ça ? Comment étais-tu venue ici et pourquoi ? Que venait-il de se passer ? Et ce sang sur tes mains… Tout ce sang… Ce bien-être que tu éprouvais, était la seule chose dont tu te souvenais. Tremblante, tu appelais en vitesse une ambulance, avant de te pencher sur le corps inerte du jeune homme, lui caressant les cheveux, totalement abattue.

Lorsque la police arrivait elle aussi sur les lieux avec les ambulances, ils prirent ta déposition, te pensant témoin… Puis lorsqu’ils virent dans quel état tu étais, ils se posèrent un tas de questions. Le questionnement prit fin rapidement, lorsque tu lâchais, en passant tes mains ensanglantés dans tes longs cheveux ébènes, l’air paniqué, le regard vide « Je… je crois que c’est moi qui aies fais ça… » . Tu étais mineure, mais tu es restée une nuit entière derrière les barreaux pendant que ton oncle devait s’occuper de payer la caution et de régler la merde dans laquelle tu venais de te mettre. Et par conséquent, de le mettre… Oui, c’est bien pour cela qu’il s’en faisait : pour LUI, uniquement LUI. D’ailleurs, l’avocat minable qu’il avait engagé pour ta défense montrait bien qu’il se fichait royalement de ce que tu pouvais bien devenir. « Le tuteur légal de l’accusée devra payer un dédommagement de 2000 dollars au jeune Tim Braxter. Et quant à vous, mademoiselle Milena-Kyle Grey, vous séjournerez pour une durée de six mois dans une maison de correction avec un suivi psychologique obligatoire. La séance est levée », tu soupirais, regardant la famille du jeune homme, qui heureusement, avait juste passé quelques sales semaines à l’hôpital mais était sain et sauf. Tu étais désolée, désolée pour tout mais plus personne ne voulait t’entendre. Tu n’étais qu’une petite voleuse, une jeune fille qui prenait plaisir à agresser les gens, aux réactions disproportionnées face au simple harcèlement dont était victime ta pauvre sœur, une folle violente…

Tu ne pensais pas qu’une maison de correction pouvait être aussi terrorisante et aussi dure. Tu t’attendais à un environnement stricte, mais pas à ce point. Cette maison ressemblait à une prison, bourrée de jeunes avec qui tu n’avais absolument rien en commun. Tu n’étais pas une paumée sans avenir comme ces jeunes, du moins, tu y croyais dur comme fer. Tu te sentais persécutée, entourée de jeunes filles agressives, réellement violentes, te pensant comme elles, elles te provoquaient sans arrêt mais malgré ces voix qui t’incitaient à commettre l’irréparable, tu étais plutôt du genre douce et gentille, même adorable… Du coup, tu te laissais faire. Tu te faisais insulter, traiter de folle (car oui, tout le monde avait entendu dire qu’on t’avait poussé à tabasser ce type, que ce n’était pas toi, que tu avais eut l’impression de ne plus être toi), pousser, on te volait tes affaires, on te frappait par moment, on te harcelait… Tu avais tout de même quelques amies, mais des amies fragiles, pas tellement fiables. Le quotidien était un véritable enfer, et avec tes soucis, tu ne parvenais pas à suivre les cours. Depuis quelques années, tu étais incapable de te concentrer plus d’une heure, te dispersant sans arrêt et tu désespérais. Ta seule joie était qu’un week-end sur deux, tu avais le droit de voir ta petite sœur, qui te parlait de tout, sauf de la vie à la maison. Pourtant, tu voyais qu’elle mourrait un peu plus intérieurement à chaque fois que tu la voyais… Tu le sentais, tu sentais qu’elle n’avait plus le cœur à vivre, et ça te bouffait parce que tu étais coincée entre ces quatre murs, incapable de faire quoi que ce soit pour elle.

SUITE A VENIR