L’obscurité lui sied à merveille. Pas qu’elle soit l’un de ces assassin fous auxquels elle prête une oreille (supposée attentive) à longueur de journée. Non, c'est surtout qu'elle est devenue l’un de ces animaux. Ceux qui ne supportent pas la lumière du soleil. La réalité des journées l’effraie. La nuit est fausse, faite d’émotions et d’excès. Elle n’a rien de tangible. Et c’est tant mieux. Le vrai, l’indéniable, la science et tout le reste, ça la dégoute, ça la répugne. Il est impossible de nier la réalité d’une chair, la réalité du sang et la réalité d’un muscle : la réalité d’un viol. Tout est plus facile quand on est fou. On occulte la souffrance avec un naturel et un flegme qui sont aussi inquiétants qu’enviables. Secrètement, elle rêve d’avoir ces facultés malsaines. Une sorcellerie vaudou, quelque chose de traditionnel et de répréhensible : la possibilité d’oublier le mal, d’être souriante et fêlée. Elle se sert du thé à la rose, dont le parfum capiteux gagne ses narines, et elle chasse ces pensées taboues. Ici, on va mieux. Il est hors de question que le personnel se mette en doute. Le doute, c’est le début de la pathologie, et elle sait très bien comment ce début risque de se finir. Elle en côtoie les illustrations tous les jours. Alors mieux vaut taire les maux, taire les symptômes, taire les peines. La douleur est incroyable, et la difficulté incomparable, mais elle fait de son mieux. Elle a vu pire, elle sait qu’elle pourrait être dans une situation plus effroyable encore. Tous les écorchés vifs qui hantent les murs de Giercliff en sont la preuve vivante. Elle devrait s’estimer heureuse. Ça n’est qu’un viol, rien de grave, rien d’insurmontable. Si elle est capable d’en voir honte, d’en ressentir le mal, le poison, c’est qu’elle est encore saine d’esprit. Aussi, sans une once d’hésitation, elle soupire et se recoiffe de manière quasi-compulsive. Elle reprend contrôle, essaie de conserver une certaine stature. Cet endroit est dangereux, nocif. Peu l’admettent, beaucoup en rit. Les autres sont naïfs. Elle ne dit rien. Elle n’a personne à qui parler. Personne à qui confier ses doutes et ses faiblesses. C’est comme si elle avançait à l’aveugle, comme si elle déambulait au travers d’un champ miné. A chaque seconde, elle risque d’exploser. Seul Siran l’apaise. C’est assez étrange, en fait. Il est bizarre, un peu fou. Mais il la rassérène. Sa voix, son regard et ses opinions lui permettent de tenir tête, de ne pas perdre pied. Il la sauve de la solitude. Si elle était livrée à ses pensées jour et nuit, elle en mourrait, c’est une évidence. C’est pourquoi elle l’attend, en sirotant son thé à la manière d’une vieille dame. Elle attend sa présence et ses paroles, le réconfort silencieux qu’il lui apporte. Il est son roc sans même le savoir, parce-que les filles fragiles ne doivent leur sanité qu’à peu de choses. Très peu de choses.